Des rideaux ?!

Des rideaux ?!

Pourquoi suis-je devenue couturière de rideaux ?

Tout d’abord, laissez-moi vous raconter mon cheminement.

J’avais huit ans quand ma mère m’a inscrite à mon premier cours de couture. Le cours avait lieu dans le sous-sol d’une dame, dont ni moi ni ma mère nous souvenons du nom. Il y avait une grande table et des machines à coudre tout le tour de la pièce. J’allais au magasin de tissus avec ma mère, je choisissais un patron et toutes les fournitures requises, puis, tout excitée de commencer un nouveau projet, je m’installais avec ma professeure pour tailler mes morceaux. Je ne vous dis pas, j’avais vraiment des drôles de goûts. Quand je regarde des photos aujourd’hui, ça fait peur ! Mais bon, c’étaient les années 80 !

Ensuite, on a déménagé, et cette passion est restée en plan… Je suis plutôt du genre à explorer plusieurs avenues. J’ai suivi des cours de théâtre, de peinture, de natation… Bref, ce n’est qu’à l’approche de mon bal des finissants du secondaire que la couture est revenue dans ma ligne de mire. Je voulais faire ma robe ! Alors, je me suis inscrite à des cours de couture. Toujours dans le sous-sol d’une dame qui, aujourd’hui, ne donne plus de cours, qui a déménagé et de qui je n’ai malheureusement plus de nouvelles. C’est d’elle que j’achèterai ma première table de coupe, avant la fin de mes études. Et nous y voilà, mes études. Ces cours avaient ravivé en moi la passion de coudre, de fabriquer les choses moi-même et de pouvoir dire : « C’est moi qui l’ai fait ! » J’ai donc annoncé à ma mère que j’irais étudier en design de mode. J’ai eu du fil à retordre pour faire accepter cette idée à mes parents…

J’ai fait mon DEC en design de mode au Collège LaSalle. La première année à Montréal, les deux autres années à faire le voyagement depuis Laval. Aux yeux de mes professeurs de patron et de couture, j’étais rapide et douée. Mes notes en témoignaient. Pour ce qui était du dessin et de la créativité, ce n’était clairement pas ma tasse de thé. C’est alors que j’étais dans ma deuxième année d’étude que quelqu’un a eu la brillante idée de déposer, dans les sacs de bonbons d’Halloween, un papier offrant mes services en réparation et modification de vêtements. C’est comme ça que ma première clientèle est née. J’ai découvert, dans ces années, que j’étais rapide, à l’aise pour aider les autres dans leurs projets, que je pouvais gagner de l’argent avec mon talent et qu’en plus j’acquérais de l’expérience. Dans ma classe, je suis vite devenue une référence en matière de couture. Avec le défilé qui clôturait la fin des études, j’ai aussi découvert que j’aimais être à la tête d’une équipe et m’occuper de tout ce qui touche la gestion de celle-ci. C’était l’équipe de réparation de vêtements. Pour vous donner une idée, imaginez 90 finissants fois 3 vêtements, autant de modèles pour les porter qui doivent passer devant vous pour vérifier l’ensemble sur 2 représentations. Quand le vêtement est facile à mettre, tout va bien, mais quand tu dois coudre une fermeture à glissière à la main pendant que le modèle a le vêtement sur le dos, que la future designer te regarde avec des gros yeux et que le coordonnateur des tableaux tape du pied parce que le vêtement doit être en file pour sortir sur le podium… il n’y a rien de plus stressant ! Vous comprendrez pourquoi je ne fais plus partie de l’industrie de la mode.

Après mes études, je n’ai pas tout de suite cherché un emploi dans mon champ d’expertise. J’ai travaillé comme conseillère dans une boutique de machines à coudre. Ça me convenait, on m’avait dit que je serais directrice des ventes. J’ai énormément appris avec le technicien qui était sur place — et qui y est encore d’ailleurs. Quoi de mieux qu’une couturière qui peut elle-même réparer ses machines ?! Malheureusement, l’avancement promis n’y était pas, la vente à la commission me donnait des boutons et je n’y voyais pas vraiment de possibilité d’avancement pour moi. Je me suis mise à chercher dans l’industrie… Comme je n’y étais pas allée en sortant de l’école, j’étais rouillée et ma recherche ne fut pas trop glorieuse. J’avais alors envisagé d’aller travailler comme aide-secrétaire dans l’entreprise de mon père et où travaillait ma mère.

Et c’est là que c’est arrivé ! Un ami m’a téléphoné, sa mère cherchait une couturière.

  • Elle fait quoi, ta mère ?
  • Des rideaux.
  • Des rideaux ?!
  • Oui, elle fait des rideaux et elle cherche une couturière comme toi.
  • Comme moi ?
  • Elle a déjà une couturière, elle te ressemble beaucoup : elle a la même énergie que toi, elle est toujours pleine de projets et en train de coudre. Appelle-la, tu verras bien.

Le départ

J’ai appelé. J’ai rappelé et laissé un message. J’ai rappelé et laissé un autre message. Aujourd’hui, je sais que j’ai passé pour la fatigante qui veut parler à « La boss ». Mais bon, je voulais un job. Lorsque « La boss » a retourné mon appel, elle paraissait un peu désintéressée, mais semblait avoir bon espoir que cela puisse marcher entre nous. J’avais déjà été louangée par son garçon, qui était certain que j’étais la bonne ! J’avais une entrevue… finalement ma première journée de travail. Je ne lui avais pas dit, mais la seule fois que j’avais essayé de faire des rideaux, cela n’avait pas été un franc succès. Je dirais même un désastre ! Elle avait besoin de quelqu’un à la coupe. À l’époque, elle avait une couturière et une technicienne à la table de préparation et emballage. « La boss », elle, travaillait dans son bureau : téléphone, feuille de confection, les demandes rentraient. J’ai appris vite, j’étais rapide, j’aimais ça, et ce n’était jamais pareil. Je pouvais couper du tissu de coton à 12 dollars la verge, et le lendemain je coupais dans de la soie brodée à 300 dollars la verge. Il y avait souvent jusqu’à 30, 40 verges par rouleau. Faites le calcul ! C’était extrêmement stimulant.

Quand « La boss » s’est rendu compte que je savais me servir de ciseaux, elle a rapidement augmenté mon salaire, et j’ai passé à l’étape suivante. Maintenant que je savais faire les calculs pour couper les tissus, il me restait à apprendre à assembler les rideaux pour les livrer. J’avais l’impression de désapprendre ce qui m’avait été enseigné dans le vêtement. Vraiment rien à voir avec les rideaux. Deux mondes complètement différents.

Un nouveau départ

J’ai travaillé pour « La boss » sept ans. Durant ces années, on a eu des dîners au restaurant pour nos anniversaires, pour Noël, puis on a déménagé, eu d’autres dîners au restaurant, perdu des employées. J’ai même été la seule dans l’atelier pendant un certain temps. Comme je pouvais tout faire, j’aurais été la dernière à perdre mon poste… Mais arrive un temps où l’horloge biologique sonne. « La boss » a voulu qu’on essaye de former une couturière durant mon congé, mais ça ne convenait pas. Alors je n’ai jamais été remplacée.

Lorsque j’ai annoncé mon retour au travail, lorsque mon bébé avait 11 mois, « La boss » n’avait pas beaucoup de projets en cours. Nous avions déjà envisagé que je démarre ma propre affaire, mais je n’étais pas prête, et ce n’était pas comme cela que je voulais faire. Je crois que j’ai eu peur à l’idée d’un autre déménagement. Et elle m’a dit : « Allez ! Tu es capable, tu me fais penser à moi à ton âge, j’avais déjà une dizaine de filles à faire travailler, allez, je vais t’aider ! » Même mon père m’encouragea !

Et c’est comme ça que je suis partie, avec mon bagage de couturière — très peu comme entrepreneure —, à la recherche de mon matériel, de fournisseurs et de clients, pour m’installer dans mon propre sous-sol.

J’ai acheté quatre machines à coudre industrielles à Sherbrooke, j’ai construit une deuxième table de coupe, j’ai peinturé, j’ai placé toutes mes choses, puis j’ai envoyé 21 lettres de présentation à des designers d’intérieur. Au fil des ans, j’ai accueilli des stagiaires, j’ai eu des employés, j’ai eu des bonnes et des moins bonnes périodes, mais j’ai acquis une expertise qui ne s’apprend pas à l’école et un savoir-faire très difficile à maîtriser.

Aujourd’hui, j’ai plus de 15 ans d’expérience en confection de rideaux, dont 8 comme entrepreneure, et je peux affirmer que je travaille avec l’élite en matière de design.

Je fais des rideaux parce que je peux livrer un produit de très haute qualité qui me procure énormément de satisfaction personnelle.

Bienvenue dans mon monde !